« De même que le monde entier est une école pour la totalité de l’espèce humaine depuis l’origine jusqu’à la fin des temps, de même la vie est une école pour chacun du berceau à la tombe. Il ne suffit plus de dire avec Sénèque. ‘‘Il n’y a pas d’âge pour commencer à apprendre’’. Nous devons dire chaque âge est destiné à apprendre car il n’y a d’autre but pour chaque être que d’apprendre dans la vie elle-même. »
Tout a commencé avec ma grande sœur qui m'a fait découvrir cette citation de Jan Amos Comenius (1592-1670) in Pampaedia
Troublante citation pour moi et le lien fort que je ressens avec cet homme. Au-delà du fait que j'ai des origines tchèques, il met en place des idées pédagogiques que je partage grandement et dont je vous livre ici des extraits
Tout formateur, prof, éducateur, (politique ?) devrait s'en inspirer !
Philosophe tchèque, souvent présenté comme le "père" de l'éducation moderne, Comenius insiste sur l’importance de l’éducation artistique. Il juge que l’art doit être rendu accessible à tous. Il plaide, en particulier, pour l’enseignement de la musique à tous les niveaux scolaires.
Toute sa réforme scolaire est sous tendue par le désir de donner à chaque élève son autonomie. Comenius veut, en effet, amener les élèves à ne rien demander sans réfléchir, à ne rien croire sans penser, à ne rien faire sans juger, mais à faire ce qu’on sait être bon, vrai, utile. « Que personne n’épuise ses désirs, ses sens, ses forces, ne cède aux désirs d’autrui, ne soumette ses sentiments à ceux d’autrui et ne se laisse contraindre du dehors. Que tous comprennent le moyen d’être heureux qu’ils possèdent en eux-mêmes. »
Comenius considère la liberté et la joie de vivre comme l’état légitime de l’homme, le but vers lequel doit le diriger l’éducation. C’est là le pivot de toute son œuvre : Améliorer la condition des hommes pour les amener à cet état de liberté, de joie et de bonheur telle est l’idée qui le soutient lorsqu’il écrit sa Didactica magna.
L’éducation ne consiste pas à remplir l’esprit de l’élève d’opinions reçues et de notions toutes faites, mais à développer son intelligence, son raisonnement et son jugement pour le rendre capable de penser par lui-même. A l’école organisée, mais « morte, des livres », Comenius préfère l’école buissonnière mais « vivante des hêtres et des chênes ». En d’autres termes, l’élève doit apprendre à examiner et à connaître les choses en elles-mêmes et non par les observations que d’autres auraient faites pour lui. Pour cela, Comenius demande que tous les livres soient illustrés. Il propose des promenades et des visites d’ateliers plus que des cours.
Les trois principes fondamentaux de sa didactique correspondent tout à fait aux idées des enseignants documentalistes. Il faut en effet :
- Procéder par étapes.
- Tout examiner par soi-même sans abdication devant l’autorité adulte.
- Agir par soi-même : l’autopraxie. « Elle requiert, pour tout ce qui sera présenté à l’intellect, à la mémoire, à la langue, à la main, que les élèves eux-mêmes le cherchent, le découvrent, le discutent, le fassent, le répètent, sans se relâcher, par leur effort propre ne laissant aux maîtres que le rôle de surveiller si ce qui doit se faire se fait, et se fait comme il doit se faire. »
Jean Piaget a résumé l’apport pédagogique de Comenius dans la recommandation suivante : « Nous pourrions écrire en lettres d’or sur la porte de toutes les écoles d’aujourd’hui tant elles sont, hélas ! Encore peu appliquées, ces trois règles que Comenius tire de l’idée de développement spontané :
- Envoie les enfants aux leçons publiques pendant le moins d’heures possible. Je veux dire pendant quatre heures, et en laisse autant pour les études personnelles.
- Surcharge le moins possible la mémoire, je veux dire ne fais apprendre par cœur que les choses principales, abandonnant le reste aux exercices libres.
- Et, par contre, règle tout ton enseignement sur les capacités des élèves, qui se développent d’elles-mêmes avec l’âge et les progrès scolaires ».
Éducation au féminin
A l’heure ou l’infériorité des femmes est communément admise, Comenius affirme que les filles ont les mêmes capacités intellectuelles que les garçons. Il admoneste tous ceux qui veulent tenir les femmes éloignées des études scientifiques et littéraires. Les femmes sont douées d’une intelligence agile et fine qui les rend aptes à comprendre la science comme les hommes et souvent même mieux que les hommes. Il faut donc les instruire de tout ce qu’il importe qu’elles sachent, non seulement pour leur propre bonheur, mais aussi pour celui de tous ceux qui les entourent. « Si quelqu’un vient me dire : où cela nous mènera-t-il si les femmes elles-mêmes se donnent aux études ? Je réponds : il arrivera ceci que cette instruction et cette éducation générales, lorsqu’elles se feront selon la bonne méthode, fourniront à chacun ce qui lui est nécessaire pour bien penser et bien agir ».
Éducation des sens
L’éducation minutieuse des sens est primordiale puisque c’est sur les sens que les choses réagissent immédiatement et directement. Le maître doit tenir comme règle d’or que chaque objet doit être présenté à celui des sens qui lui convient. Les sens se guident et se complètent l’un l’autre. Il faut donc développer leurs rapports mutuels. Ainsi, un enfant qui voit une cloche en a une connaissance plus précise s’il la touche, l’entend. C’est à mesure qu’il arrive à comprendre la raison d’être d’un objet que l’élève retient le mot qui le désigne. Ensuite, il apprend à exprimer lui-même par la parole et par l’écriture, les impressions qu’il ressent. On lui enseigne toutes ces choses par la pratique : « A parler en parlant, à écrire en écrivant, à raisonner en raisonnant » et on posera ainsi les bases d’une pédagogie dont le but est de contrôler par l’expérience la valeur du savoir.
Emploi du temps
Comenius a des idées très précises sur l’organisation du temps scolaire. Celui-ci est basé sur les principes de l’instruction concentrique.
Huit heures pour le sommeil, huit heures pour les soins du corps, les repas, les jeux… et huit heures pour la classe et l’étude. Pour les écoles maternelles et élémentaires, il ne faut pas plus de quatre heures par jour, deux heures le matin consacrées à la culture de l’intelligence et de la mémoire ; deux l’après-midi pour les exercices manuels et oraux. Le reste du temps appartient à la récréation, aux exercices physiques, domestiques et à la préparation des devoirs.
Dans l’école latine, le matin est consacré à la science et à l’art, et l’après-midi à l’histoire et autres matières.
Encyclopédisme
Affirmer que tout doit être enseigné, ne signifie pas toutefois que les élèves doivent tout apprendre. Comenius raille les efforts des encyclopédistes, dont il juge absurde la façon de présenter les connaissances comme une chaîne d’événements juxtaposés plutôt que comme un tout. Il s’agit plutôt d’apprendre à bien penser. Les élèves doivent ainsi mémoriser le moins possible.
Enseignant ou maître
Le maître doit être aussi instruit qu’il le pourra. Il doit être animé du plus noble idéalisme. Par l’attrait de sa personnalité, il gagnera la confiance des élèves et celle de leurs parents. Sa vie privée doit être un modèle de moralité. C’est important car, si le maître remplit tous ses devoirs, s’il rend son enseignement agréable et vivant, il ne rencontrera pas de problème de discipline. Il faut donner aux élèves le goût des études et de la discipline et ce n’est pas en employant la férule ou en donnant des punitions que l’on arrive à ce résultat.
Erreur
Puisque les hommes ne sont pas sur la terre pour être de : « simples spectateurs, mais des acteurs, il faut en arriver à une organisation telle que personne ne rencontre rien qui lui soit absolument inconnu et dont il ne puisse tirer, en quelque mesure, parti raisonnablement et sans tomber dans les pièges de l’erreur ». Il faut donc que l’homme devienne l’être raisonnable qu’implique sa destinée d’homme. Il ne peut le devenir qu’en acquérant une compréhension de tout ce qui l’entoure, qui seule le rendra capable de soumettre à son usage légitime les autres créatures, de se gouverner lui-même et de servir son prochain
Faculté de l’âme
Comenius a rencontré Francis Bacon, déjà présenté dans le Personnage du mois. Les trois facultés de l’âme sont pour lui : l’intellect qui observe et distingue les choses ; la volonté qui choisit entre l’utile et le nuisible ; la mémoire qui accumule pour l’avenir, tout ce qu’ont assimilé l’intellect et la volonté. Ces trois facultés sont inséparables et accompagnent les trois qualités décrites par Comenius : l’érudition, la vertu et la religion. Elles vont également de pair avec les trois degrés : le sens ou vérité de la nature ; la conscience ou vérité morale, Dieu ou vérité spirituelle.
Formation continue
L’éducation n’est pas seulement une formation de l’enfant à l’école ou dans la famille. C’est un processus qui intéresse la vie entière de l’homme et ses multiples adaptations sociales. La société dans son ensemble est conçue sub specie educationis. Les grandes idées de pacification et d’organisation internationale de l’enseignement qui font de lui un précurseur de tant d’institutions et de courants contemporains découlent de cette synthèse sui generis entre la nature et l’homme que Comenius défend dans toutes ses œuvres.
Image et jeu
Ce qui fait de Comenius un des pionniers de la pédagogie moderne, c’est sa réflexion sur la manière d’enseigner, et en particulier, l’idée que l’enseignant se doit de réveiller l’intérêt de l’élève. Pour cela, il préconise l’utilisation de l’image et du jeu. C’est ainsi que son manuel Orbis sensualium Pictus a pour ambition d’apprendre le latin aux enfants par association d’un mot à une image.
Comenius défend aussi l’idée des jeux de groupe. Selon lui, il n’existe rien de tel qu’apprendre en s’amusant. Pour lui, la contrainte n’est nécessaire à l’enfant pour apprendre ; il le désire naturellement.
Instruction pour tous
Comenius affirme que : « lorsque l’éducation générale de la jeunesse commencera par la bonne méthode, il ne manquera plus à personne ce qui lui est nécessaire pour bien penser et bien agir ». En ce sens, Comenius préconise une instruction généralisée, la même pour tous, « sans distinction de richesse, de religion ni de sexe ». « Les enfants des riches, des nobles ou de ceux qui exercent une magistrature ne sont pas seuls à être nés pour occuper de semblables situations et pour qu’à eux seuls on ouvre les portes de l’école latine [secondaire] en repoussant les autres comme des gens dont on espère rien. L’esprit souffle où il veut et quand il veut ».
Langue vivante
Comenius est surtout connu par le petit ouvrage intitulé Janua linguarum reserata ou la Clé des langues. Il y a rassemblé en 1000 phrases tous les mots usuels, de manière à donner en un temps très court, la connaissance des mots. Il complète cette publication par Orbis sensualium pictus où les mots sont accompagnés d’images qui les expliquent.
Comme un certain nombre de ses contemporains, Comenius plaide pour que soit adoptée une langue universelle, une langue pansophique. La diversité des langues est une entrave à la compréhension des hommes entre eux. Or toute sa vie, Comenius a recherché le moyen d’éclairer la raison collective des hommes permettant d’instaurer entre eux une vie harmonieuse.
Orientation scolaire et professionnelle
Comenius est convaincu que vouloir déterminer trop tôt la vocation de chacun est un acte de précipitation. Avant l’âge de 13/14 ans, les « forces de l’intelligence », ni les « inclinaisons de l’âme » ne se manifestent pas encore. Les unes et les autres se révèlent beaucoup plus tard.
Précurseur de l’orientation scolaire, Comenius défend l’idée qu’il suffit de donner aux enfants des outils qui leur permettent de se familiariser avec les différents métiers. Cela permet au : « maître de voir les enfants agir spontanément et de deviner leur vocation : les uns, par le choix du jeu et par leur conduite en jouant, manifesteront les aptitudes nécessaires aux fonctions d'État, civiles ou militaires, les autres se révéleront doués pour la médecine, pour l’architecture, etc. ».
Pansophie ou sagesse universelle
« Comenius, écrit Jean Piaget, a été le premier à avoir conçu dans toute son ampleur une science de l’éducation. Il la place au cœur d’une « pansophie » qui, dans son esprit, doit constituer un système philosophique d’ensemble. » La pansophie traduit la dimension universaliste de sa pensée. Pour concrétiser la sagesse universelle, Comenius conçoit un système d’éducation rationalisé, unique pour tous et composé de quatre degrés. Il considère que l’éducation est un processus qui doit durer toute la vie et que le monde entier est une école.
« L’idée centrale est sans doute celle de la nature formatrice qui, en se reflétant dans l’esprit humain grâce au parallélisme de l’homme et de la nature entraîne par son ordre même, le processus éducatif. C’est l’ordre des choses qui constitue le véritable principe enseignant, mais c’est un ordre actif, et l’éducateur ne saurait accomplir sa tâche qu’en demeurant un instrument aux mains de la nature ».
Le génie de Comenius est d’avoir compris que l’éducation est l’un des aspects des mécanismes formateurs de la nature, et d’avoir ainsi intégré le processus éducatif dans un système tel que ce processus en constitue l’axe fondamental même.
Dans l’esprit de Comenius, la pansophie peut, seule, hâter le progrès moral, intellectuel et spirituel de l’homme qui s’élèvera progressivement vers les sommets. En ce sens, il rejoint de nombreux contemporains comme Descartes quand il pense écrire un traité au titre explicite : « Le projet d’une science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection ».
Pédagogie
On considère Comenius comme l’un des pères de la pédagogie moderne car pour lui, la réforme de l’éducation est l’unique remède à la profonde crise culturelle que traverse l’Europe de son temps.
Sa théorie pédagogique exige que chaque étape du savoir embrasse un ensemble complet de connaissances, point de départ d’une nouvelle étude plus élevée, plus profonde, plus étendue. Cette progression de cercles concentriques suppose donc que la formation intellectuelle commence par l’enseignement des principes élémentaires, indispensables à l’acquisition de nouvelles connaissances, toujours plus savantes.
Conclusion
En République tchèque et en Slovaquie, la date de naissance de Comenius est commémorée par la Journée des professeurs. L'Europe a donné son nom à l’un de ses programmes d’éducation parmi les plus importants.
Sa doctrine sur l’éducation fait et continue de faire l’objet de nombreuses et importantes études. Et pourtant Comenius reste assez mal connu.
Et pourtant, pourtant… quand après plus de trois siècles, on lit ses ouvrages, Comenius apparaît comme un prophète : « prophète passionné de l’avènement de l’entente entre les peuples et de la création de l’école démocratique, celle-ci devant préparer la voie à celle-là ; prophète confiant de la pédagogie donnant la main à la politique, entendue au sens étymologique et le plus noble du mot, pour faire de chaque petit d’homme un homme et de chaque homme « un ouvrier heureux dans l’atelier de l’humanité ».
Un dossier proposé par l’encyclopédie Agora
Extraits choisis à partir site réseau canopé et merci à Marie-France Blanquet pour la qualité de son article.
J'ai d'ailleurs monté des ateliers en inde du sud qui se font dans la joie, dans l'expérimentation des sens....