Une fois n'est pas coutume,je relaie un excellent article sur la formation professionnelle en 2015 et des propositions pour notre cher gouvernement...

Après la cataclysmique réforme de la formation professionnelle de 2014, le plongeon durable de tous les apprentissages professionnels en France, la perte de repères d'organisations ne pouvant plus s'appuyer que sur du sable, il reste à notre pays six mois environ pour se ressaisir et admettre qu'on a pu totalement se fourvoyer en 2013-2014 (les partenaires sociaux, le Parlement et les pouvoirs publics).
L’ancien ministre du Travail, Michel Sapin, avoua en 2014, dans un livre de souvenirs de son passage au Ministère du Travail ("l’écume et l’océan"), qu’il ne connaissait pas la formation professionnelle avant de s’y "attaquer" via une réforme que tout le monde prédisait impossible.
Nous avons aujourd’hui la preuve par l’absurde que les pouvoirs publics ont joué aux apprentis sorciers en démantelant un système de formation (certes imparfait) pour une parodie d’organisation qui insécurise l’ensemble du monde du travail (PME, grandes entreprises, salariés, OPCA, OF) sans apporter le moindre avantage aux chômeurs ni aux jeunes sans qualification.
Cette réforme "systémique" (systématique et hystérique surtout), dont tout indiquait au ministre qu’elle était impossible, les pouvoirs publics l’ont pourtant "menée" en 2013 et en 2014 avec une totale inconscience, une arrogance confondante ("une réforme pour les 40 prochaines années") et avec cette incompétence du novice qui ne comprend même pas l'étendue des bêtises qu'il commet.
Le ministre du Travail du début 2014 ne savait pas qu’en France pour se former (quand on est en activité) il fallait réunir au moins quatre conditions :
1) Un salarié souhaitant développer ses compétences, comprenant son intérêt de s’adapter au travail ou de se reconvertir.
2) Un employeur concerné et prêt à laisser partir en formation son salarié même si le coût financier, organisationnel et social était conséquent (la formation est un effort, pour l’employeur aussi)
3) Un financement interne ou externe certain, pérenne et suffisant (le 0,2 % du CPF pour les seules grandes entreprises est une plaisanterie qui organise dès le départ l'insuccès d'un dispositif non financé)
4) Une structure de formation souple qui dispose des moyens pédagogiques (andragogiques), organisationnels et financiers pour mener à bien une formation.
Tuer les organismes de formation privés en prétendant favoriser le secteur public de la formation c’était se tirer une balle dans la tête.
La formation est démantibulée aujourd'hui
La formation est à terre alors même qu’on découvre (grâce à la Cour des comptes) que dans le procès à 32 milliards d’euros instruits contre les organismes de formation, c’est l’État qui est le premier gaspilleur des fonds de la formation (1 milliard d'euros gâchés dans la seule éducation nationale pour une formation absente pour la plupart des enseignants).
Ce sont les entreprises employant les salariés les moins qualifiés qui perdent toute capacité de former désormais
Dans les grandes surfaces, dans les sociétés de services aux entreprises (gardiennage, ménage, entretien, restauration...) dans nombre d’usines, dans le secteur des services, dans les associations, et ceci quelque soit la taille de l’organisation, les budgets alors que les budgets étaient minimes il est devenu quasi impossible de former.
Pour ces entreprises de main-d’œuvre ou de services, les budgets formation culminaient en fait à 80 ou 100 euros maximum par an et par personne (10 euros par personne dans une "grande association") le compte n'y est plus, le service formation ne survivra pas longtemps (même quand plus de 50 000 salariés étaient employés) et on s'achemine vers la brutale chute de tous les apprentissages au travail (après avoir fortement endommagé l'apprentissage depuis 2013).
La triple conséquence de la réforme actuelle
1) La destruction du Droit à la Formation (DIF) en le substituant par un inutile et bien trop complexe compteur formation qui ne permet à aucun salarié (ni DE) de se former (quelques centaines de dossiers bouclés tout au plus cette année alors que le DIF permettait à 600 000 personnes de se former)
2) Le démantèlement du Plan de formation : le quarantenaire Plan de formation des entreprises est complètement torpillé par la réforme puisque les entreprises peuvent ne plus cotiser pour la formation de leurs personnels (malgré une improbable obligation de former 100 % des effectifs sur 6 années). Dans les TPE la mutualisation étant détruite (comme l'a expliqué la Cour des comptes en novembre 2014) la formation des PME/TPE va sans doute totalement disparaître.
3) La liquidation dans les 2 à 3 ans de 30 à 50 % des organismes privés de formation (les organismes publics comme l’AFPA étant maintenus en survie artificielle avec des perfusions de plusieurs centaines de millions d’euros). La richesse de ces milliers d'opérateurs privés va priver justement notre pays de toute capacité de relever le pays et sa compétitivité (perdue depuis les années 2000).
Macro politique ou micro organisations
Les pouvoirs publics ont donc mis à terre une fragile, éclatée et complexe formation professionnelle qui après 7 années de crise (et donc une baisse substantielle des budgets formation) ne pouvaient résister à un tel "traitement de chien".
Le ministre du Travail du début 2014 (n’ayant sans doute jamais bénéficié que de formation initiale longue et payée par la collectivité) ne pouvait imaginer le travail de précision que nécessitait le montage d’une simple action de formation pour un groupe de 10 stagiaires en France, les trésors de patience, d’écoute, d’appropriation pour un tissu social rétif depuis toujours aux apprentissages tout au long de la vie.
La formation est fragile en France, la contraindre par la force à revenir à la logique de la loi Delors de 1971 est une erreur monumentale
Comme on devrait le comprendre "en haut lieu" la formation professionnelle continue est bien plus complexe, couteuse et difficile à déployer que le schéma ultra simpliste et classique de l’éducation initiale (un prof, une classe, des élèves).
Les efforts réalisés depuis 10 ans sont annulés par la réforme de 2014
En l’état actuel de la règlementation, la formation plonge vers les abîmes.
La formation se planifie des mois avant son déploiement dans nombre d’organisations, pour l’année 2015 on sait déjà qu’elle plongera, que seules quelques rares entreprises agissant sur fonds propres (et la crise s’éternisant en France ces fonds propres sont devenus très rares) développeront encore un peu de formation (les banques, les assurances, les transports, l’énergie, tout secteur dépensant bien au-delà des obligations légales depuis de très nombreuses années).
Dans les sociétés du secteur concurrentiel, dans les entreprises de main-d’œuvre (celles qui sont justement les plus fragiles, car travaillant avec des salariés peu qualifiés) la formation va régresser dans des proportions dramatiques.
Pour éviter que le seul avenir des travailleurs modestes consiste en un enfermement chez Pôle Emploi ou dans des régimes sociaux (qui ne pourront tout éponger) il convient de redresser très vite la barre (au plus tard au cours de l’été 2015).
Pour sauver la formation
1) Le report sine die de la réforme (et la restauration de la cotisation obligatoire minimale de 1,6 % pour toutes les entreprises, quelque soit leur taille dès 2016)
2) La réhabilitation du DIF pour tous les salariés de droit privé (le Compte personnel de formation demeurant le simple compteur d’heures qu’il devait être à l’origine et qui permet de ne pas perdre de droits lors d’un changement d’employeur)
3) La conservation de 3 dispositions utiles de la loi de 2014 :
a) L'obligation de formation de chaque salarié avant 2020.
b) L'obligation de l’entretien professionnel tous les 2 ans (avec sanction financière pour toutes les entreprises en cas de non-réalisation)
c) Le déploiement rapide du socle des compétences pour tous les travailleurs (y compris les non-salariés)
Le choix est donc simple pour les pouvoirs publics
- Soit admettre qu’ils se sont fourvoyés, que la formation des chômeurs et celle des travailleurs ou des jeunes sans qualification ne relèvent pas des mêmes logiques et qu'il faut tout faire pour favoriser la formation de ceux qui ont encore un emploi en France (notamment les 22 % de travailleurs peu qualifiés)
- ou bien assumer la paternité de la destruction de la formation professionnelle continue en France.
Il n'est pas interdit d'être intelligent en 2015, même si le temps commence à presser pour notre pays.
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