Comment a commencé à se définir le temps de travail ?
Réponse dans cet ouvrage passionnant de Marie-Agnès Dequidt...
Extraits choisis :
"Au XIXe siècle, les usines se multiplient ainsi que le nombre de personnes qui y sont employées. Dans ce contexte, la notion d'horaire devient de plus en plus importante et précise. Au temps de travail "poreux, pénétré d'imprévu, ouverts à la spontanéité, soumis à l'interruption fortuite ou récréative", succède un temps "'régulier, à heure fixe, militarisé".
Ainsi le temps industriel, caractérisé par le rythme imposé et une "discipline du temps" s'établit définitivement au XIXe siècle, après plusieurs siècles de mise en place : la rémunération à la tâche laisse peu à peu la place à la rémunération au temps, le temps de travail est surveillé, les loisirs sont encadrés.
Cette modification ne se fait de façon uniforme ni dans le temps ni dans les lieux. A Paris, à cause de la spécialisation dans la production d'articles de Paris, le travail reste largement affaire de boutiques et de petits ateliers, loin de la rigidité des manufactures.
Pour les boutiques, la journée normale est, tout l'année, de 6 heures du matin à 8 heures du soir.(très loin des 35 h :))
Pour les ateliers, le travail reste fréquemment payé à la pièce et la durée du travail est liée à l'éclairage naturel.
En ce qui concerne les métiers du bâtiment, une ordonnance de police du 24 septembre 1806 fixe théoriquement la durée du travail de 6 heures du matin à 7 heures du soir du 1er avril au 30 septembre et le reste de l'année de 7 heures du matin "au jour défaillant", avec deux pauses d'une heure prévues pour les repas entre 9 et 10 heures puis entre 14 et 15 heures.
Les revendications ouvrières de début de la monarchie de juillet commencent cependant à porter sur les horaires, non pas simplement pour alléger la charge de travail, mais aussi pour pouvoir accéder à l'instruction.
De fait, avec l'arrivée de l'éclairage au gaz, les journées de travail ont tendance à s'allonger d'autant plus pour ceux qui travaillent à la tâche et ont besoin de gagner davantage. D'après l'enquête de la chambre de commerce, encore en 1848, 40% des ouvriers sont toujours payés à la tâche.
A retenir ici : les horaires des artisans ne sont pas toujours fixés et restent importants.
L'organisation du temps social
L'organisation de la journée peut aussi se lire avec 'l'extrême diversité de l'horaire alimentaire' ! Dès 1808, Grimod de la Reynière écrivait "depuis que l'on dîne à Paris à 5, 6 oui 7 heures du soir, le déjeuner y est devenu un véritable repas... l'heure du repas permet une identification sociale. Les décalages d'horaires sont liés aux activités des individus. Pour les élites, il s'agit de dégager du temps pour pouvoir aller au spectacle, au bal, au jeu, quand, pour les bourgeois, l'impératif est de s'adapter aux heures de travail, notamment dans les bureaux. Exemple du café Tortoni qui reçoit boulevard des italiens une clientèle qui évolue selon l'heure de la journée :
- entre 11 et 13 heures : boursiers et hommes d'affaires
- les dandys arrivent plus tard et restent jusqu'à 14 heures
Pour les ouvriers, le choix de l'heure du repas leur appartient beaucoup moins qu'il n'appartient à leur patron et aux obligations des chantiers et les classes moyennes restent longtemps fidèles à l'horaire ancien.
Dans le cas du bâtiment, une ordonnance de police de 1806 impose ainsi deux pauses pour les repas
- entre 9 et 10 heures
- entre 14 et 15 heures
Les repas du soir à l'extérieur bénéficient de l'éclairage qui s'étend au coeur de la nuit.
Autre phénomène amusant sur l'importance que revêt déjà à cette époque l'importance de l'écoulement du temps, la prolifération de guides destinés à aider le lecteur à bien utiliser ses journées :
les exhortations à vivre chrétiennement par un bon usage de son temps
écrit de l'archidiacre d'Evreux Boudon : "le bon emploi du temps est nécessaire pour éviter les conversations inutiles, dangereuses ou mauvaises; et pour ce sujet il faut régler les différentes occupations de la journée, comme l'heure de se lever et de se coucher, l'exercice du matin, l'oraison mentale, la prière vocale....ne pas manquer à faire tous les jours une lecture spirituelle"
Exemple de nom d'ouvrages de l'époque :
- conduite ou exercices de la journée chrétienne
- la bonne journée ou manière de sanctifier la journée pour les gens de la campagne
- la petite journée du chrétien contenant les exercices ordinaires
- Jules, Caroline et Sophie ou l'utile emploi du temps des vacances
- leçons sur l'emploi du temps
- leçons sur le bon emploi du temps, historiettes morales et amusantes
- de l'emploi des loisirs du soldat français en temps de paix
- manuel de la maîtresse de maison
- essai sur l'emploi du temps
- l'art de jouir de la vie par les plaisirs, par un agréable et utile emploi du temps...
Enfin, les transports, notamment les chemins de fer entraînent la ponctualité, en 1845 toutes les gares ne sont pas équipées d'horloges et les usagers doivent être à l'heure pour prendre le train, ce qui implique une nouvelle culture et un apprentissage de l'horaire !
C'est amusant de voir le temps de travail à travers l'histoire, non ?
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